«Bien sûr que les gens ont peur» L'Ukraine abaisse l'enrôlement à 25 ans, une décision controversée

ATS

19.5.2024 - 08:08

Être jeune est un atout; se battre est un devoir. Tel est le plaidoyer de jeunes soldats volontaires ukrainiens, favorables à la nouvelle loi entrée en vigueur samedi et qui a abaissé, non sans controverse, à 25 ans l'âge de mobilisation, l'armée ayant impérativement besoin de recrues.

L'âge de la mobilisation a été abaissé à 25 ans en Ukraine. (image d'illustration)
L'âge de la mobilisation a été abaissé à 25 ans en Ukraine. (image d'illustration)
IMAGO/SOPA Images

19.5.2024 - 08:08

Confrontée à une pénurie d'armes et d'hommes au moment où la Russie a l'initiative et multiplie les assauts sur le front, l'Ukraine est au défi de regarnir ses rangs après plus de deux ans de guerre face à un ennemi mieux équipé, qui recrute à tour de bras et ne compte pas ses pertes.

Les autorités ukrainiennes ont longtemps voulu préserver la jeunesse, fixant l'âge de mobilisation à 27 ans et en s'appuyant sur des volontaires. Mais ces réservoirs s'épuisant, il a fallu abaisser le plancher à 25 ans. La décision a suscité la controverse, d'aucuns craignant de sacrifier des gamins sans compétences militaires qui représentent le futur du pays.

«Une bonne chose»

Mais pour Mammouth, nom de guerre d'un volontaire déployé dans la région de Donetsk, mobiliser les jeunes est une bonne chose. «Je suis arrivé à la guerre à 22 ans, pas à 25 ni à 27, à 22», répète l'ex-juriste de 24 ans, devenu pilote de drone après l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022.

«Je n'avais aucune compétence», dit le jeune homme, membre de la compagnie «Kurt». Mais au sein d'une unité, «vous pouvez demander et apprendre, regarder et répéter [...] Personne ne vous laissera seul». Pour lui, la mesure-phare du texte quant à l'âge minimal des recrues s'imposait. «Cela aurait dû être fait plus tôt», lâche Mammouth.

«Cette loi n'est pas appréciée par la population. Bien sûr que les gens ont peur. C'est normal», mais «des décisions doivent être prises dans une période aussi difficile et nous devons nous battre», assène-t-il.

Dans un petit village proche du front, d'où des explosions résonnent au loin, Iegor Dimidiv, 24 ans, est aussi agacé. Il se dit «vraiment fatigué» et «un peu en colère, parce que cela dure depuis plus de deux ans».

«Un devoir»

«Si nous [les soldats] ne sommes pas là, toute cette merde arrivera» partout en Ukraine, dit-il. «J'ai déjà perdu ma maison, à Sievierodonetsk», ville prise par les Russes en juin 2022, ce qui l'avait décidé «immédiatement» à se porter volontaire.

«Presque tous les jours, je suis ici ou dans un autre petit village démoralisant où cela gronde et cogne partout», raconte l'ex-étudiant en droit devenu lieutenant et commandant-adjoint de la 59e brigade, chargé du soutien moral et psychologique des soldats.

«Pourtant vous ne partez pas de cet endroit, parce que vous avez un devoir envers votre patrie, envers la société, les gens, mes parents, mon jeune frère, la fille que j'aime», poursuit-il.

Aujourd'hui, «nous manquons avant tout de personnel», dit-il. Normalement, «une compagnie compte plus de cent soldats, mais maintenant, elle ne peut pas compter sur plus de 25 personnes».

Oui, reconnaît-il, la nouvelle loi est «impopulaire», mais lorsqu'elle a été adoptée, après des mois à souffrir face aux assauts russes, l'Ukraine ne pouvait faire autrement. Elle avait le choix «entre une mauvaise option, mobiliser, et une très mauvaise option, ne pas mobiliser et perdre tout ce qu'il nous reste».

«De pire en pire»

Coyote, un autre pilote de drone âgé de 22 ans, juge «normal» de combattre jeune. Il aurait «même abaissé encore un peu» l'âge minimal. Casque virtuel sur les yeux, il pilote avec dextérité son petit appareil sur une zone d'entraînement dans la région de Donetsk.

«Il vaut mieux s'entraîner, acquérir de nouvelles compétences, chercher une fonction tant que c'est possible et aller se battre» maintenant, car la situation devient «de pire en pire chaque jour».

Pour Ielizaveta, une aide-soignante de 24 ans rencontrée dans un centre de premiers soins près du front, l'atout de la jeunesse, c'est la santé et une capacité «d'apprendre, de s'adapter» pour «se battre».

«Les plus âgés ne peuvent pas supporter les mêmes charges physiques qu'à 24-25 ans», abonde dans le même sens Kloks, 24 ans, fantassin à la 63e brigade. Il est sous contrat depuis ses 19 ans et commande une dizaine de soldats postés dans des tranchées à une centaine de mètres des Russes.

«Tout le monde est épuisé» et «s'il n'y a pas de nouveau recrutement et plus personne pour se battre, nous perdrons cette guerre», lâche le jeune homme qui reconnaît avoir choisi l'infanterie pour l"'adrénaline».

Et, dit-il, la peur, qui rebute tant les nouvelles recrues, est normale. «Si une personne n'a pas peur, elle est soit morte, soit sans cervelle [...] Il faut y faire face, la maîtriser».

ATS